Extrait de « La fuite en Suisse » de Ruth FIVAZ-SILBERMANN
Le 11 septembre 1942, peu avant minuit, un garde-frontière suisse du poste de Rolle chargé d’un « barrage » dans la région de la pêcherie d’Allaman tire sur un pêcheur français en train d’aborder avec des fugitifs et le tue net. Le rapport du commandant du Ve arrondissement des Douanes suisses rapporte ainsi le geste de son subordonné : « usage de l’arme ayant entraîné la mort d’un délinquant » .
Le douanier était embusqué sur la rive. Lorsque les premiers fugitifs – quatre juifs belges et hollandais – ont débarqué, il aurait fait les sommations d’usage, mais se serait mépris sur le geste du jeune pêcheur, lequel aurait brandi sa rame, non pour menacer ou frapper le douanier, mais pour repousser sa barque au large.

Geste brutal indéfendable ou légitime défense ?Quoi qu’il en soit, Léon Moille, 17 ans et demi, a reçu une balle de mousqueton dans la tête et est mort sur le champ. Son oncle Noël Moille, pêcheur professionnel à Thonon et organisateur du passage, a dû après l’incident subir des pressions de la part des autorités suisses, puisqu’il décrit son neveu comme un contrebandier récidiviste, ayant eu une attitude « insensée ».On frise l’incident diplomatique entre la France et la Suisse, mais le préfet estime qu’il n’est «pas indiqué de créer, à propos de ce regrettable incident local, un incident diplomatique avec un pays auquel nous devons une immense reconnaissance. […] Le douanier suisse aurait été bien inspiré en s’abstenant d’intervenir aussi brutalement, mais il n’a fait, en la circonstance, qu’exécuter les consignes qui lui ont été données».